LA MAISON
Pour les grosses fêtes, il y avait une maison dont nous rêvions tous. Plutôt un manoir, une belle demeure. Nous y allions parfois explorer les lieux. Il y en a plusieurs de ce style, au centre du désir.
C'est une grande maison en briquettes rouges, avec les angles en grosses pierres blanches. Les fenêtres n'ont plus de carreaux et ouvrent les pièces au vent froid et sec de l'hiver. Elle est sur les des hauteurs d'une colline et domine le paysage. Du perron, on voit s'étaler sur les coteaux les résidences des quartiers riches, et plus loin les grandes masses perpendiculaires des tours de bureaux.
Après avoir poussé la grille grinçante et rouillée, on se retrouve dans un petit parc à l'abandon. Il y a là une carcasse de voiture, sans roues ni portes, dépouillée. Des sapins poussiéreux.
Pour entrer, il faut prendre l'un des côté d'un double escalier de pierre. Arrivé sur le perron, pousser une porte dont la vitre est protégée par une grille de fer forgé.
Le vestibule est tout en longueur, recouvert d'une toile de jute mauve au dessus des lambris. Des masques de tous les pays du monde y sont accrochés, souriants, menaçants, reposés, sans expression.
Une porte sur la gauche donne sur un immense salon partagé en deux par une ogive. Chacun des murs est peint d'une couleur différente, dans les tons vifs, rouge, orange, vert, bleu, jaune. Il y a des tapis orientaux partout sur le plancher. De vieux canapés, des tables basses, des plateaux en cuivre jaune, quelques plantes vertes. Des bûches craquent dans la cheminée, la plaque de fonte représente le dieu Pan qui joue de la flûte traversière. Tout celà est assez sale, vieilli. Celà sent la récupération, la décharge, le manque d'entretien. Pourtant, c'est arrangé avec goût, avec un certain goût.
Je suis allongé sur un des canapés, enroulé dans une couverture de laine rèche, et j'essaye de faire disparaître le mal qui bourdonne dans ma tête par la concentration sur un point du plafond. Je finis par m'endomir...
-Hè!
-Hè!
-Hein? Hein? Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?
-Oh! Oh!
Je me redresse d'un coup.
-Bonjour! Heu...Tu te rappeles de moi? Hein?
-Heu...
-La guitare...
-Ah oui, oui...Heu...Hé ben assied toi! Heu...Tu veux du café?
-Ah ouais, ouais, ok...
Je passe dans la cuisine et fait chauffer un fond de casserole sur le butagaz. Je la regarde. Elle s'installe plus à l'aise, enfoncée dans un canapé. Elle remue la jambe. Nos regards se croisent, je lui souris, elle me sourit. Elle porte enroulé autour du cou un foulard de cotton jaune, avec des versets sanscrits imprimés en lettres rouges. Un cuir noir, un jeans délavé, des santiags.
J'apporte les tasses et la cafetière sur un plateau, le pose sur une table, et m'assied à côté d'elle, pas trop près.
-T'as pas de guitare?
-Heu...J'en ai pas.
-Bon ben je t'en passerais une. Tu aimes quoi comme musique?
-Heu...Un peu tout...
-Tu connais les accords?
-Heu, non...J'y connais rien.
Elle baisse la tête et regarde le tapis.
Je lui montre les accords de base, Sol, Do, Ré. Nous jouons avec ça un morceau de Dylan et un des Stones, avec les paroles traduites en français. Et puis elle s'en va, contente.
Il n'en avait pas fallu plus pour que monte cette chaleur réciproque, cette petite drogue apaisante qui fait tant de bien, qui fait que l'on souhaite vivre et surtout se revoir. Je l'avais donc invité à la fête de samedi.